Retrouvailles, par Alecto

Rédigé par kaamlii -

Certaines sagas s'écrivent dans le sang.

Je devais à présent recoller les morceaux de ma vie passée. Dieu que j'avais l'impression de vivre une deuxième existence ! Je rentrai d'abord chez mes parents. Je n'arrivais pas à me rendre compte de ce qui m'arrivait. Je sentais le soleil sur mon visage, le vent sur ma peau... J'arrivais à percevoir la rugosité du sol sous mes pieds. Je revivais un court moment d'innocence, une parenthèse de bonheur avant l'ouragan qu'allait devoir être ma vie.

Mes mains étaient moites. Le taxi me laissa au bout du chemin qui menait à la propriété. Ce chemin, je l'avais arpenté des milliers de fois. J'en connaissais la moindre bosse, le moindre trou. Les choses étaient cependant différentes, j'avais une canne blanche en main, désormais.

Il m'était cependant assez difficile de faire semblant, de donner le change en agitant devant moi le sceptre de mon infirmité putative.

Alors que je gambergeais, j'étais arrivé devant la maison de ma jeunesse, cette vieille batisse de 3 étages qui avait connu plusieurs générations de Murdock.

Cette porte, qu'il me semblait connaître par cœur, se trouvait à présent face à moi, sans couleur, mais quelque chose avait changé. L'atmosphère était lourde et cela n'avait rien à voir avec le climat estival de cette douce journée de printemps.

La peur. J'exsudais la peur de tous mes pores, un exode massif de ma transpiration, comme si mon corps était devenu trop dangereux pour y demeurer.

Je sentais l'oxydation du métal sur le bouton de la sonnette. Mes mains tremblaient. Devais-je sonner ? Je n'étais plus vraiment chez moi, même si cela avait toujours été chez moi. Ce sentiment laissait maintenant intégralement la place à un autre, bien plus viscéral et animal, me prévenant malgré moi d'un danger et affûtant mes sens. Je me refusais pourtant à accepter cela, je ne voyais pas en quoi mes parents étaient dangereux ...

J'entendis quelques voix de l'autre côté de la porte. J'étais persuadé que l'une d'entre elles était mon père, qui semblait énervé. Je ne parvenais pas à reconnaître l'autre voix, beaucoup plus assurée et calme.

Bien vite, je me décidai à sonner à la porte et la sonnette ne retentit pas longtemps. J'entendis pendant quelques dixièmes de secondes une sorte de souffle (voire un sifflement), puis vis un gros flash lumineux bleu et fus projeté quelques dizaines de mètres plus loin.

Lorsque je me réveillai, c'était la nuit. J'étais toujours couché dans le champ à côté de chez mes parents et les pompiers étaient en train d'éteindre la maison en feu. Maison, ou ce qu'il en restait, les deux étages et le sous-sol avaient tout bonnement disparu pour laisser place à un énorme cratère noir dont quelques vestiges immobiliers fumaient et rougeoyaient, malgré les efforts des pompiers. Mon Dieu, ça voulait dire que mes parents ... Non. Je refusais cette idée défaitiste, mais à présent il me fallait récupérer, pour comprendre ce qui s'était passé..

Je tâchai de ne pas me faire repérer et me dirigeai vers le seul endroit que j'estimais digne de confiance : la maison de Nancy. Certes, il me fallait couper par la campagne et le trajet de quelques kilomètres n'allait pas arranger mon état, mais c'était ma seule destination possible.

Je traversais ces étendues végétales, une odeur forte et âcre avait envahi mon nez. Mon sang, qui gouttait par intermittence sur les épis de blé, m'apparaissait d'un rouge rubis et je pensai que cette explosion devait avoir perturbé mes sens. Je m'arrêtai à la petite rivière au bord de laquelle nous avions l'habitude, Nancy et moi, de nous allonger côte à côte en écoutant la nature et en regardant l'eau couler. Cette pensée me donna du courage et je lavai mes plaies du mieux que je pus.

Poursuivant mon épopée à travers la nuit et la campagne, je finis par arriver au village. Mes blessures étaient propres, mais je n'étais pas sauvé pour autant, la douleur devenait de plus en plus intense.

Parvenu à la maison de Nancy, j'en fis le tour très précautionneusement. Une voiture que je ne connaissais pas était garée devant. Elle sentait le tabac froid, l'after-shave et ... le chèvrefeuille et le biscuit.

Une larme coulait sur ma joue alors que je m'approchais de la maison. Pas ça. Pas aujourd'hui. J'entendais des voix à travers les fenêtres et alors que j'atteignais une position qui me permettait de voir sans être vu, je pus apercevoir la personne avec qui discutait Nancy. Ralf Immelman. L'homme qui combinait tout ce que je n'aimais pas dans la société. Il lui parlait et l'embrassait ... Je dus me baillonner des deux mains pour étouffer un hoquet de tristesse.

J'étais vraiment seul à présent. Mes parents étaient disparus, la fille que j'aimais m'avait abandonné pour cet espèce de mannequin creux et superficiel... Fort heureusement, dans un ultime instinct, j'eus le réflexe d'aller me réfugier dans le tribunal de cette petite ville.

Pour sûr, il y a quelques dizaines d'années, les habitants du cru étaient très fiers de ce symbole de la justice dans leur ville. Mais petit à petit, les affaires les plus sérieuses étaient du vol de bétail, rien qui ne nécessite de continuer à payer pour un bâtiment et ses fonctionnaires. Le petit tribunal avait donc été abandonné, pour servir ensuite de refuge aux vagabonds qui sillonnaient la région.

Je m'y terrai donc, certain que l'on ne m'y trouverait pas. Effectivement, le bâtiment était vide. Bizarrement, je m'y sentais bien et j'avais même réussi à ne plus avoir à me concentrer pour gérer la douleur.

Je m'endormis presque aussitôt que je m'assis. Le lendemain, lorsque je me réveillai, mes blessures avaient disparu. Je ne comprenais pas vraiment comment fonctionnait ce truc, mais c'était sûr qu'il me sauvait la vie déjà deux fois.

J'avais pris ma résolution : j'allais devoir couper les ponts avec mon ancienne vie, afin de construire ma nouvelle vie. Mais je n'arrêterais pas d'investiguer sur ce qu'il s'était passé, je devais à présent retrouver mes parents.

Je m'engageai dans des études pour devenir avocat. J'avais depuis longtemps oublié la sensation de s'assoir sur les bancs d'un amphithéâtre, c'était désormais devenu pour moi un symbole de mon innocence perdue.

Je finis mes études d'avocat et m'installai à mon propre compte.

Avocat le jour, avatar de la vengeance du faible et de la justice la nuit. Une optique de carrière qui me plaît.