La déclaration

Rédigé par kaamlii -

Au début, un dialogue. Une déclaration.

A la fin, un monologue à 5 voix.

Vendredi 27 janvier.

J'ai fait ma déclaration. "Je suis amoureux". Cela a été facile à sortir, à ma grande surprise ...

Malgré mes quelques capacités à la poésie et à la prose, je n'ai jamais vraiment été à l'aise pour ce genre de choses.

Sa réponse : "oh merde". C'est parfaitement compréhensible, en même temps ... Et je sais très bien que ce n'est pas le moment, qu'il ne faut pas, mais il faut que cela sorte. Cela fait maintenant deux semaines que nous n'avons pas parlé, et je me suis rendu compte qu'elle me manquait énormément.

J'y ai beaucoup réfléchi, je me disais que cela n'était pas ça, qu'il devait y avoir d'autres explications, le travail, ma soutenance, mais je me suis rendu à l'évidence que ces deux sujets étaient bien étrangers à la cause de mon émoi.

Oh merde.

En temps normal, j'aurais ajouté un peu de lyrisme, mais il ne fallait pas. J'étais en public, et je ne pouvais pas me dévoiler autant. Nous nous sommes quittés en nous souhaitant un bon week-end.

Elle me rappela dans la soirée, et l'appel de deux heures fut déchirant. Chacun dit à l'autre ce qu'il avait à dire, moi expliquant ma situation, et elle sa réponse.

Au final, tout cela était très logique mais le cœur a ses raisons ...


Lundi 30 janvier.

Le week-end ne s'est pas trop mal passé, mais le fait de la revoir a été très rude.

Dès que j'entends son nom, sa voix, son rire, j'ai l'impression que l'on va m'arracher le coeur de la poitrine, et que ma jugulaire va exploser. J'ai chaud, j'ai froid, je suis complètement désorienté.

Mon corps a faim, mais j'ai tellement la nausée que je ne peux rien avaler. Je suis écrasé, par mes propres sentiments. Le tsunami qui me submergeait n'avait que faire des digues dérisoires que j'avais érigées ...

Cette vague d'émotions est en train de prendre le contrôle de mon corps tout entier, elle m'asservit et me transforme en quelque chose que je ne veux pas être. Impossible cependant de sortir de cette spirale destructrice...

Au retour chez moi, je dois bouger, faire quelque chose, occuper mon corps et mon esprit.

Tant que la situation n'est pas résolue, et vu que j'économise le temps d'un repas, j'abrutirai mon esprit devant un film et j'en profiterai pour m'occuper de mon corps en faisant des abdos. Je n'aime pas ça, c'est parfaitement adapté à la situation.

Nous échangeons quelques SMS, elle veut m'appeler pour me donner selon elle ce qu'il me manque pour que je prenne du recul.

Sauf que je ne peux pas. Je ne peux pas entendre sa voix. La prendre au téléphone représente l'apogée d'une torture que je subis et je crains ne pas pouvoir être en mesure de m'en remettre.

Nous convenons d'une trêve, pendant laquelle je lui promets d'arrêter d'y réfléchir, le temps que nos situations respectives retournent à une sérénité méritée.


Jeudi 2 février.

Je n'ai pas tenu ma promesse, mais nous nous rencontrons pour parler de tout ça. Au début de notre conversation, l'émotion me submerge, et j'explique mon point de vue. Elle, reste concentrée.

J'explique ma crainte de la voir partir, alors qu'elle a réussi à comprendre des rouages de ma personnalité que seuls certains membres de ma famille comprennent...

Sa réponse est sans appel : si la situation continue, elle partira. Elle ne veut pas me voir comme ça, et s'en irait, si la situation devrait stagner.

Finalement, je n'avais besoin que d'une chose, c'est de la voir en face, et de lui communiquer la teneur de mes émotions, et de ma confusion.

Mentalement, je me demande si je vais craquer à son départ.

Nous nous saluons, yeux dans les yeux et en souriant. Elle rentre chez elle et je retrouve le calme tant redouté de la maison.

Je ne craque pas. Je prends un bain, je me mets tranquillement au lit et bouquine jusqu'à ce que mon corps réclame ce sommeil tant attendu. Il est tôt, mais j'en ai besoin.


Vendredi 3 février.

Cela fait une semaine maintenant.

Nous avons parlé hier, et cela a grandement amélioré les choses. Je ressens toujours cette poigne qui enserre mes entrailles, et j'ai toujours du mal à être maître de moi en sa présence, même si je le dois. Je lui dois, et je me le dois.

La situation s'est grandement améliorée, et je récupère le contrôle petit à petit.

La journée se passe assez rapidement, nous échangeons quelques mots et nous séparons pour le week-end.

Quand je rentre à la maison, je me dis que je dois bouger, évacuer cette rage, ces sentiments qui m'enchaînent et m'empêchent de progresser. Je vais aller courir. Cela fait plusieurs mois que je n'ai pas couru, et la dernière fois était avant mon infiltration du dos. Aucune idée de la distance que je pourrai m'infliger, mais cela m'importe peu, du moment que je puisse ne pas être frustré de n'avoir rien fait.

Mental, à Corps : j'espère que t'es chaud, gros, parce que tu vas en chier.
Corps, surpris : quoi, quoi, quoi ? De quoi tu me parles ?
Mental, froid : on va courir. Jusqu'à ce que tu cries.
Cœur : ouille !
Corps, dépité : mais j'ai fait quoi pour mériter ça ? Et c'est qui elle ?
Mental, à Corps : "elle", c'est Cœur. Elle a un peu mangé ces derniers temps, et elle va pas s'en sortir seule. Toi, ça fait bien longtemps que tu n'as rien fait, il serait bien temps que tu te réveilles.
Cœur : aïe !
Mental, courroucé : là tu te tais, ça ira mieux après. Peut-être.
Corps, effrayé : tu vas me faire en chier, et en plus ça servira peut être à rien ? Il y a de la glace au citron dans le congélateur, steuplait ...
Mental, ignorant les plaidoyers de Corps : de toutes façons il a déjà commencé à s'habiller. Fais-toi à l'idée, gros.
Corps, irrité : mais arrête de m'appeler comme ça ! Et puis j'ai perdu ces derniers temps, j'ai ...
Mental, froid : et t'as repris après, et t'as reperdu, mais pas assez. Allez, bouge-toi, qu'on rentre avant la nuit. Le plan, c'est de faire l'itinéraire habituel, et quand on arrive dans la forêt, on hurle notre colère à s'en faire péter les cordes vocales.
Cœur : ouille !
Corps, étonné : ah parce qu'en plus des muscles, tu vas me défoncer la voix ? Sympa.
Mental, résolu : t'as pas le choix, là il faut reprendre le contrôle. À Cœur : Et toi tais-toi, on est sur l'affaire.
1km
2km
Mental, à Corps, fier
: tu vois, tu en chies pas trop finalement !
Corps, surpris : pff pff, oui, et pff pff c'est même plutôt agréable, pff pff. Tu veux pas pff pff qu'on rentre ? Il fait un peu froid, pff pff j'ai pas envie pff pff d'attraper la grippe !
Mental, excédé : si tu te remues le cul, tu attraperas pas la grippe.
Cœur, la voix chevrotante : tiens cette musique est émouvante, je vais vous ressasser le topo des 3 dernières semaines. Déjà, elle nous a manqué, et puis on a fait la déclaration, et puis on s'est parlé au téléphone, et...
Pendant ce temps, des images défilent. La déclaration, le coup de téléphone allongé sur le lit dans le noir, l'émotion croissante, les larmes qui arrivent ...
Mental, rapidement, à Corps : ACCÉLÈRE ! VITE ! Si tu sprintes pas maintenant, on va sombrer.
Corps, obéissant : c'est parti !
La voix de Cœur se fait plus lointaine.
Mental, content : bien joué, on a réussi cette fois.
Une voix grave se fait entendre derrière Mental
"Ta vie n'a pas beaucoup de sens finalement... Tu en chies pour tout."
Mental, surpris et en colère : t'es qui, toi, putain ?
"Je suis ta peur. Tu ne le sais pas, mais je suis toujours là, présent, et j'apparais dans les bons moments."
Mental : c'est pas trop un bon moment, là.
Peur, riant : tout est point de vue de perspective ...
Mental, criant : mais dégage ! On veut pas de toi ici. On se concentre !
Peur, hilare : tu crois que tu as le choix ? Tu as remarqué que je parle plus fort que vous ici ? Comme j'en impose plus ?
Physique, essoufflé : non moi je tiens ! Je continue !
Peur, menaçant : peu importe, tu m'obéiras tôt ou tard. Vous m'obéirez tous. Hey gros sac, t'as pas remarqué comme j'ai bien bossé ces derniers jours ? Les nausées ? La grosse boule au ventre ? Les alternances coup de chaud / coup de froid ? Tu pensais pas que c'était la ménopause quand même ?
Peur rit à gorge déployée.
Peur, continuant à rire : je suis le marionnettiste ici. J'ai le contrôle sur toi, C'EST MOI LE TAULIER !
Mental, chuchotant à Corps : c'est bientôt la forêt, un petit effort, s'il te plaît.
Corps, chuchotant à Mental : pas de problème, mec. Il me fait flipper ce type, de toutes façons.
Peur, moqueur : vous dites quoi dans votre coin ? Encore à vous lamenter, comme d'habitude ? À ne pas résister à la pression ? Gnin gnin gnin, le cœur a ses raisons ? Vous êtes tellement pathétiques, de véritables lavettes. Je ne sais pas comment vous avez fait jusque là.
Une douce voix féminine fluette perce le grondement de la voix de Peur. "Le combat n'est qu'entre toi et moi, Peur."
Peur, sûr de lui et sarcastique : Amour. Je me disais bien que si l'autre tarlouze était là, à ressasser ses souvenirs, il fallait que ta sale face de hippie traîne dans le coin. C'est mort, ton combat ne sert à rien. Il est en train de se rendre compte qu'il n'a rien ni personne, et que c'est parti pour durer.
Amour, de moins en moins fluette : non, il n'a pas rien. Mais tu sapes toujours ses efforts, depuis l'ombre où tu trames tes plans pourris.
Peur, agressif : c'est normal ! Il ne mérite rien ! Il a déjà beaucoup trop eu. Et il donne trop, regarde ce qu'il a en retour ! Peanuts ! Les gens l'oublient. Il est oubliable.
Amour, calme, faisant face à Peur : Il ne demande rien, tu ne comprends pas ça. Il rejette tout principe d'échange, et d'asymétrie dans les relations, le fait de lui devoir quelque chose.
Peur, ironique : et tu as vu où ça le mène ? On lui marche dessus ! Quand il n'est pas là, on n'y fait pas attention !
Amour, posée : il n'aime pas la compétition de toutes manières.
Peur, de plus en plus agressif : il n'aime pas perdre !
Amour, toujours calme : non, il n'aime pas les comportements d'affrontement. De toutes manières, maintenant que je suis là, je parle maintenant plus fort que toi, as-tu remarqué ? Tu sais comment ça va finir ?
Peur, livide : j'imagine que tu vas me faire un énième sermon sur les valeurs de l'espoir et de l'amitié, toutes ces conneries ?
Amour, contente : tu as tout dit toi-même cette fois, bravo ! Cette fois je ne te chasse pas, tu t'exiles tout seul.
Peur, menaçant : tu sais que je reviendrai ! Je reviens toujours de toutes façons.
Amour, sereine : et je serai là, et je te vaincrai, comme toujours. Pars, à présent.
Amour relève Cœur, qui avait suivi l'échange avec avidité.
Amour, à Cœur : ça va aller maintenant. Le gros de la tempête est passé, tu vas pouvoir t'en remettre maintenant. N'oublie juste pas que ce n'est pas parce que l'autre ne peut pas recevoir, que tu dois t'arrêter de donner ou te remettre en question sur ta manière de donner. Cela ne dépend pas de toi, il va falloir l'accepter.
Cœur, la voix un peu plus forte et assurée : oui, mais c'est difficilement contrôlable, au début ...
Amour, pédagogue : bien évidemment. Mais tu verras, cela sera de plus en plus facile. Tu as déjà bien mieux fait que la dernière fois.
Cœur, fier : merci ! Et j'espère faire encore mieux la prochaine fois !
Corps, à Mental : nous sommes arrivés à la maison. Ça a pris moins de temps que prévu.
Mental, admiratif, à Corps : parce que tu t'es dépassé. Tu as compris ce qui vient de se passer ?
Corps, interrogatif : je crois qu'on a été les instruments d'un combat qui nous dépasse, mais c'est tout ce que je peux dire. Je lui ai envoyé quelques petites giclées de sérotonine, j'espère que ça a aidé.
Mental, souriant : tu m'étonnes que ça a aidé ! Va prendre une douche, tu vas prendre froid.

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