Livre premier, chapitre troisième : un voyage inattendu, par Melian Faeranduil

Rédigé par kaamlii -

Est-il possible de s'éveiller d'un rêve si réaliste que l'on peine à croire que c'est réellement un rêve ? Est-il possible que quelques secondes seulement après ce réveil, la réalité ne vienne à prouver le contraire de son intransigeante poigne ?

J'étais à la bibliothèque de Fort-Ponant, à la recherche d'un texte que je pourrais mettre en chanson. Le bâtiment était calme, j'allais pouvoir travailler en toute tranquillité. Je trouvai un élégant livre à la couverture rouge, qui piqua mon intérêt. La préface, enjôleuse, était écrite en vers, et parlait d'un monde idéal, où le rêve se mêle à la réalité. À peine terminée la lecture de cette mise en bouche, alors que je m'apprêtais à feuilleter l'ouvrage, les pages de celui-ci se tournèrent spontanément à toute vitesse, pour s'arrêter tout aussi spontanément. Plus piqué par la curiosité de lire le texte que celle de savoir qui pourrait éventuellement me jouer un mauvais tour dans cette bibliothèque, je dévorai le texte.

Je dus m'endormir sur ce texte relatant un conte de fées, puisque je me réveillai dans un lit étranger, dans une chambre qui ne m'était pas plus familière. Comment aurais-je pu me déplacer jusqu'à cette chambre, me déshabiller, me coucher dans ce lit, et jeter mes affaires ensuite ? J'avais le sentiment de ne pas être à ma place dans cet endroit. L'odeur n'est pas la même qu'à Fort Ponant, et le silence ! Un effrayant silence régnait sur les lieux, comme si ce monde était dénué de toute vie. J'ai un instant pensé être devenu sourd, mais je pouvais entendre le son de mes pas sur le sol. Il n'y avait vraiment aucun bruit dehors, ni à l'intérieur. Se pourrait-il que j'aie été blessé, ou que j'aie pris une telle quantité d'alcool que j'étais en train d'halluciner ? Le miroir de la chambre ne me renvoyait pas pourtant l'image du visage d'un homme marqué de contusions, ni celle d'un ivrogne qui aurait pris une plus grosse cuite qu'à l'accoutumée. Une autre hypothèse glaçante me vint à l'esprit. Serait-ce donc possible que je sois ..? Non, Je me refusais à cette idée.

Mettons de côté cette phase de confusion, pour laquelle je ne pus pas faire grand chose. Alors que je m'apprête à vêtir une tenue décente, je rends compte d'une chose : mon "hôte" ne fait pas tout à fait ma taille, et il me faudra ruser pour ne pas trébucher sur les jambes de mon pantalon, trop grandes pour moi. De plus, il a des goûts vestimentaires très incompatibles avec les miens : alors que j'aime me vêtir de couleurs sombres, j'ai l'impression que l'occupant de ses lieux ne connaît même pas le sens du mot "sombre" ... J'arrive finalement à trouver des vêtements dont les couleurs ne sont pas trop chatoyantes. Après un peu de couture rudimentaire (c'est aussi ça, aller à l'aventure ... même si cette-fois ci, l'aventure est venue à moi), je suis presque prêt à sortir de cette chambre. Je ne trouverai comme moyen de me défendre qu'un piètre glaive. Comment voulez-vous que je m'illustre de faits d'armes avec un objet aussi rudimentaire ? Au moins, l'occupant de cette chambre joue de la musique, et je lui emprunte un luth, cela me permet de me sentir moins nu. Sur le point de sortir, un tintement attire mon attention.

Un bonnet à grelot. QUOI ? Soudain, un morceau de phrase me vient à l'esprit. "Tourneboule et Luciole, les bouffons royaux". Se pourrait-il que ?.. Non, pourvu que non. J'envoie mentalement une prière à Phrysis, qu'elle m'évite le déshonneur d'assumer le rôle de bouffon. Les minutes suivantes me prouveront que visiblement Phrysis n'a pas beaucoup d'influence dans la région, ou alors qu'elle me met à l'épreuve de manière plutôt cruelle...

Je me rends compte que je me trouve dans un château, ce qui vient conforter mes craintes concernant ma putative fonction. Un détail me glace cependant le sang : les gens que je croise semblent figés sur place, comme pétrifiés. Le plus étrange, c'est qu'ils n'ont pas l'air d'être transformés en pierre, et que leur peau est tiède au toucher. J'ai donc débarqué dans un endroit infernal : je suis ici pour divertir un public qui n'a pas la capacité de m'entendre jouer ou chanter. Que se passe t'il ? Je me mets à parcourir les couloirs du château à la recherche d'âme qui vive. Plus je rencontre de statues, et plus mon cœur se serre à l'idée d'être tout seul dans cet endroit, avec pour seul étrange compagnon que ce bonnet de bouffon que j'ai machinalement pris et qui tinte à chacun de mes pas.

Au bout de quelques minutes d’errements, un bruit de pas me fit tressaillir. Quelqu'un d'autre est dans la même panade que moi ! Enfin je l'aperçois. Je suis face à un homme au port altier et à l'allure soignée. Il pourrait correspondre au chevalier de l'histoire, dont le nom m'a échappé. Je me rapproche, et soudain son image change pour prendre l'apparence d'une toute autre personne. La surprise m'étreint et je fais quelques pas en arrière ; son image change de nouveau. Il m'explique qu'il s'est réveillé dans les mêmes circonstances que moi, après avoir lu un texte à la préface enchanteresse. Chose étrange : cet homme a l'air parfaitement "normal" (si tant est que la normalité existe encore ici), hormis les ailes qu'il a dans le dos.

À juger son apparence, il doit certainement endosser le rôle de sir Merin, le preux chevalier. Il se présente en tant que Natane. Nous errons ensemble à la recherche d'autres personnes vivantes, quand nous apercevons deux silhouettes en ville. Je les hèle et nous nous rapprochons. Il semblerait que ces deux femmes correspondent aux deux personnes manquantes dans notre groupe : Ysa l'agile, l'acrobate un peu bourrue, et Leöl Carwis, légendaire barde. Nous ne nous présentâmes guère dans le détail, d'avantage attirés par le "pourquoi" que par le "qui". Le fait est que nous ne venons pas ni du même endroit, ni ... du même moment.

A force de déambuler en ville, nous arrivons à un endroit où une foule se rassemble. Le texte que j'ai lu fait part de quatre héros qui s'avancent vers le roi, nous faisons de même, dans l'ordre énoncé par l'histoire. Merin/Natane s'élance en l'air, donne quelques coups d'aile, et arrive à l'endroit de la "sélection des héros". Cela ne fut pas aussi facile pour nous 3, qui dûmes traverser la foule figée. J'en ai encore des frissons. Une fois le dernier héros (un terme qui pourrait bien me correspondre, d'ailleurs) en place, les gens s'animent et nous sommes assaillis par le bruit assourdissant qui nous entoure, nous qui nous étions malheureusement bien accoutumés au silence ambiant.

Le roi déclame son discours louant notre bravoure, et à ce moment, le texte me revient. Nous sommes censés aller récupérer la reine, qui a été capturée par un dragon (Leöl m'a d'ailleurs appris qu'il existe plusieurs couleurs de dragons). Derrière le roi, se trouvent trois fées dont la mine ne contraste pas du tout avec l'humeur ambiante. Comme le dit le récit, la blondeur du roi est troublée par quelques cheveux gris, graduant son inquétude croissante à l'égard de son épouse.

L'après-midi étant bien entamée, le roi nous propose de nous mettre en marche le lendemain, le temps pour nous de nous équiper convenablement. Dans cette contrée, le matériel a l'air bien plus seyant, et je me rends compte qu'il peut être intéressant de combattre avec un petit bouclier. Il faudra que je trouve cela en ville si je rentre en vie de cette aventure

La nuit fut courte mais reposante. Nous disposions à présent d'un objectif, et il semblait que remplir cet objectif était très certainement la clé qui nous permettrait de sortir d'ici. Il est vrai qu'être acclamé comme un héros a du bon, mais mes compagnons me manquent.

La première épreuve qui nous attend est le pont du troll. Arrivés au dit pont, nous faisons face à une gigantesque créature, qui garde l'ouvrage d'art, à côté d'une cabane à moitié délabrée. De part et d'autre du pont s'étend un abyme insondable. Le troll énonce ses conditions pour que nous puissions passer : un de nous doit se sacrifier pour que les trois autres puissent franchir le pont. Merin propose une chose au troll : Ysa, Leöl et moi-même passons, et si le troll arrive à attraper Merin, celui-ci sera la personne sacrifiée. Le troll accepte, et alors que Merin et le troll se dévisagent mutuellement pour essayer d'anticiper sur les mouvements de l'autre, Merin pivote, se dirige vers le parapet et saute dans le vide. Le troll hurle d'avoir perdu son repas... Merin se serait-il suicidé pour ne pas être mangé ? Bien sûr que non ! Ses ailes lui permettent de s'affranchir de la pesanteur un instant et vient nous rejoindre. Le troll peste derrière nous, lésé qu'il est de ne pas avoir pu festoyer.

Faisant fi de ces protestations, nous nous dirigeons vers la forêt des illusions. Ce nom n'étant pas très engageant, nous redoublons d'efforts pour nous repérer, mais bientôt force nous est de constater que nous sommes perdus et que le jour commence à décliner. Etrange de voir le crépuscule à cette heure-ci, puisque nous n'avons pas tant marché que cela ... Nous nous décidons à ne pas faire de campement, et poursuivons notre route. Bientôt, nous entendons des sons d'instruments au loin, une sorte de fête bat son plein dans la forêt. Nous arrivons à un banquet dressé, où des lutins et autres créatures féériques nous invitent à nous restaurer auprès d'elles. J'apprécie l'ambiance, mais souhaite commencer à écrire ces chroniques, je m'adosse donc à un arbre pour commencer ma prestation. La seule chose dont je me souvienne ensuite, est d'avoir le sentiment d'être réveillé par le plus horrible son que j'aie jamais entendu. Leöl est déjà réveillée et elle port un regard réprobateur envers un lutin qui semblerait être le chef de ce village. Ils acceptent de nous laisser partir, non sans avoir été sermonnés par Leöl, qui ne mâche pas ses mots. Je ne sais pas vraiment ce qu'il a pu se passer, juste que Leöl vient probablement de nous sauver d'un sort probablement funeste.

Nous finissons par sortir de la forêt. Le paysage champêtre laisse place à une embûche supplémentaire : un homme imposant, dont l'armure sombre ne fait qu'ajouter à sa carrure, en faction sur un pont. Il doit être le Chevalier du Gué éponyme. Il est solidement campé sur ses jambes, et ne semble pas décidé à laisser passer quiconque, ni à pouvoir être dupé comme le troll a pu l'être. Nous nous approchons de l'homme, et à notre grande surprise son image change ! Se pourrait-il qu'il soit prisonnier de se monde comme nous ? Si c'est effectivement le cas, étant donné les circonstance, je crains fort que notre succès ne soit à ses dépens. Il explique qu'il n'est pas de ce monde, et que son retour dépend de sa capacité à nous battre.

Merin se décide à donner quelques coups d'aile pour survoler la rivière, et nous apercevons le Chevalier mettre la main vers son arbalète. La tension monte, je pose la main sur mon arme, et tous se crispent. Leöl somme Merin de rentrer. Elle est suffisamment convaincante, puisque ce dernier revient à nos côtés. Leöl va expliquer qu'elle connait le Chevalier, qui s'appelle Atanar. Une fois notre mission expliquée, ce dernier se joint à nous. Je suis de plus en plus surpris de Leöl, cette personne doit avoir des connaissances dans le monde entier, en plus de ses capacités à nous délivrer de l'envoûtement des lutins !

Nos rangs fortifiés d'un cinquième larron, nous nous dirigeons vers la passe du Sphinx, une vertigineuse enfilade de rochers dont une gigantesque arche de pierre flanquée de deux étranges créatures marque l'entrée. Il s'agit de Sphinx, qui je l'apprends sont des animaux. Une bonne chose à savoir. Nous traversons des cavernes faiblement éclairées par une lumière blafarde, pour arriver à une pièce richement illuminée. Un sphinx se tient face à nous, et nous énonce le prix de notre passage : répondre correctement à 12 questions. Nous parvenons à répondre à 11 des énigmes, mais la douzième nous pose un gros souci. Le sphinx nous explique qu'il est nouveau ici, qu'il n'a pas ses livres et que nous pouvons passer. Je suis surpris d'une créature censée sceller un passage qu'elle soit si conciliante. Je commence à me demander si nous ne sommes pas un peu privilégiés, tout se passe "trop" bien.

Une fois traversée la passe du Sphinx (qui lui n'a pas souhaité se joindre à nous), nous arrivons à une plaine, alors que le temps commence à se gâter, et que la foudre, tout comme la nuit, commencent à tomber. Fort heureusement, un manoir trône au milieu de cette plaine. Nous nous hâtons donc dans sa direction, et parvenons à l'entrée alors que la pluie se fait de plus en plus drue, la foudre de plus en plus proche et les sources de lumière de moins en moins présentes. Un grand homme sec et pâle, Eugène, nous accueille, et nous annonce que les lieux sont la propriété du Baron de Minuit, un surnom du au fait qu'il accorde souvent asile aux voyageurs qui sollicitent le gîte la nuit. Le Baron occupe les lieux avec sa famille, à laquelle nous serons présentés une fois installés dans nos chambres. Si la conversation de notre hôte est à l'image de son hospitalité, je serai absolument enchanté de faire sa connaissance. Eugène conduit tout d'abord les femmes à leurs quartiers. Nous patientons dans le grand hall, où des tableaux représentant la famille du baron sont accrochés au mur. Vient ensuite notre tour d'être guidés vers nos chambres, et nous nous y installons. Chose étrange : il fait assez froid dans ce manoir, les occupants ne doivent pas être très frileux (ma chambre est équipée d'une cheminée, ce point de détail ne devrait pas poser de problème). L'entretien laisse à désirer dans le grand hall, mais qui suis-je pour juger de l'hygiène de mes hôtes ? Je rejette rapidement cette irrespectueuse idée, aidé d'un carillon grave, qui doit certainement marquer l'heure du dîner.

Nous faisons assez rapidement connaissance de la famille, qui semble très intéressé de nos origines et de notre mission. Je suis assez surpris d'être courtisé par le fils de famille, que j'éconduis avec tact. Pendant le repas, la famille nous explique qu'elle voit de temps à autres le dragon sortir, et qu'il est de couleur rouge foncé (visiblement, plus la couleur est foncée, plus le dragon est vieux). Je n'ai pas vraiment compris la suite des événements, mais il semblerait qu'Atanar ait fait quelque chose qui a fait bondir toute la famille complète de leur place. Ils ont l'air horrifiés, et Atanar nous explique qu'il s'agit de vampires, désireux de nous délester non pas de notre bourse, mais rien de moins que notre sang. Décidément ! Je commence à me demander si ce conte de fées n'est pas plutôt un bestiaire ...

Atanar somme la famille de nous laisser tranquille sans quoi les représailles seraient regrettables. Il ne sera pas contredit par les quatre larrons transis de terreur, et nous montons à nos chambres pour y bénéficier d'un sommeil paradoxalement réparateur.

Nous arrivons à notre but : la caverne dans laquelle se trouve notre adversaire. De temps à autre, une profonde respiration fait trembler le sol. Avec prudence, nous parvenons à une grande salle, où un énorme monstre à la peau écailleuse est allongé, et dort. Sa respiration est régulière, et nous redoublons de prudence à la recherche de la reine, en prenant garde de ne pas le réveiller. Nous terminons d'explorer la caverne, pour trouver une pièce étroite, inaccessible par le dragon, où des carcasses d'animaux sont suspendues à côté d'un tonneau. L'odeur du liquide dans le tonneau est enivrante ; Merin pense que les carcasses sont enduites de ce liquide, supposément une substance soporifique, pour droguer le dragon. Il suspecte Luciole comme étant la responsable de cela, nous explique-t'il en nous montrant un grelot qu'il a trouvé à côté du dragon.

Un passage secret nous mène directement dans le château, où les personnes qui nous reconnaissent manifestent une surprise à la hauteur de la nôtre. Nous confrontons Luciole en ville, et la suite des événements est pour le moins étrange. Elle nous explique que nos actions ne reflètent pas ce qu'elle avait "écrit dans son texte". Luciole commence à remuer les lèvres et les mains, et je comprends qu'elle souhaite ouvrir les hostilités. N'écoutant que mon inconscience, je me rue vers elle rapière au clair, et elle projette visiblement un sort qui me manque de peu. Son esquive me prend au dépourvu, et mon dernier souvenir de ce combat sera celui de la carte à jouer quelle me lance. Mon inconscience n'a donc récolté comme salaire que l'inconscience.

À mon réveil, mes trois compagnons m'expliquent qu'ils ont trouvé une boule à neige dans laquelle se trouve la reine. Je ne suis pas à une surprise près ... Nous trouvons de quoi rendre à la reine la superbe qui sied à son rang. Luciole nous explique qu'elle est tout à fait consciente d'être dans un monde romancé, et qu'elle peut en altérer certains aspects, sans se soucier nullement des troubles qu'elle cause. ELle nous dit également que ses créations n'avaient pour but que de s'amuser. Sur cette surprise de fin, le roi loue publiquement notre courage et notre succès. Il décrète plusieurs jours de réjouissances, et m'offre un luth comme récompense de mes efforts. Je suis touché et ému. Ce monde semble avoir retrouvé le bonheur qu'il avait vu disparaître au cours des derniers jours. Même les 3 fées du roi semblent avoir bénéficié de cela, puisqu'on peut apercevoir leurs ailes, bien invisibles avant notre départ.

Après des adieux émouvants, tant à mes hétéroclites compagnons qu'à la suite royale, je quitte ce monde de rêve pour me réveiller dans ma chambre. Rapidement sur pied, il faut que je sache ! Un sentiment de travail accompli me réchauffe la poitrine en apercevant le luth, symbole de mon combat, qui était bien réel.

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